Faux souvenirs en thérapie : un danger méconnu du grand public
Synthèse de lectures et recherches rédigée en mars 2025
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Introduction :
Lorsque nous entamons une thérapie, c'est souvent dans le but de mieux nous comprendre, de ne plus souffrir et d'aspirer à un mieux-être. Cependant, certaines pratiques thérapeutiques peuvent, de manière involontaire ou intentionnelle, induire de faux souvenirs. Ce phénomène est peu connu du grand public, qui imagine souvent la mémoire comme quelque chose de fiable, une sorte de caméra enregistrant les événements de notre vie. Or, il n'en est rien. Ces souvenirs erronés, parfois créés au cours d'une séance de thérapie, peuvent engendrer des traumatismes fictifs et avoir des conséquences graves sur la vie des patients. Ce phénomène, connu sous le nom de faux souvenirs induits, suscite une inquiétude particulière dans certaines approches, telles que les thérapies de la mémoire retrouvée (hypnothérapie, régression en âge, rebirth...) , mais aussi la psychogénéalogie et les constellations familiales. Cet article vise à sensibiliser le grand public aux risques associés et à fournir des conseils pour choisir un thérapeute compétent et sérieux.

Qu'est-ce qu'un faux souvenir induit ?
Les faux souvenirs induits sont des souvenirs erronés d'événements qui ne se sont jamais produits, mais que l'individu perçoit comme réels. Ils peuvent être implantés par :
- Des suggestions répétées du thérapeute.
- L'hypnose ou l'imagerie guidée.
- La recherche forcée de traumatismes refoulés.
- La pression du groupe dans certaines thérapies collectives.
- Des approches thérapeutiques non encadrées comme la psychogénéalogie, les constellations familiales et les thérapies de la mémoire retrouvée.
- La PNL (programmation neurolinguistique) ou certaines formes de méditation guidée.
Il est important de distinguer l'usage de ces techniques dans un cadre rigoureux et validé scientifiquement, par rapport à des pratiques non encadrées où le risque de suggestion incontrôlée est plus élevé. C'est surtout l'absence de formation sérieuse du praticien et le recours à ces techniques dans un contexte inapproprié qui peuvent poser problème.
La psychologue Elizabeth Loftus a démontré que notre mémoire est malléable et qu'une simple suggestion peut altérer nos souvenirs. En thérapie, cela peut conduire à des situations dramatiques, notamment des accusations infondées ou une rupture avec la famille, les proches sur la base de souvenirs inventésde maltraitances ou d'agressions par exemple (voir liens en fin d'article vers articles de presse concernant des procès en France).
Psychogénéalogie, constellations familiales et rebirth : quelles dérives ?
La psychogénéalogie, aussi appelée « analyse transgénérationnelle », repose sur l'idée que nos ancêtres nous transmettent inconsciemment des traumatismes non résolus. Dans cette approche, le patient est encouragé à chercher des événements familiaux refoulés pouvant expliquer ses problèmes actuels. Cette quête peut mener à la génération de faux souvenirs ou à l'interprétation erronée de faits passés. De plus, il est important de considérer que l'interprétation du thérapeute joue un rôle significatif dans ce processus. Chaque thérapeute peut avoir sa propre vision et compréhension des dynamiques familiales, ce qui peut influencer la façon dont il guide le patient dans son exploration. Cette subjectivité peut enrichir le dialogue thérapeutique, mais elle peut également introduire des biais, amenant le patient à adopter des perspectives qui ne sont pas nécessairement basées sur des faits objectifs.
Les constellations familiales, initiées par Bert Hellinger, fonctionnent sur un principe similaire : des participants jouent le rôle de membres de la famille du patient pour révéler des dynamiques cachées. Bien que certains puissent y trouver du sens et des éclaircissements sur leurs relations familiales, cette méthode repose sur des interprétations subjectives qui peuvent varier d'un praticien à l'autre. Le fait que les représentations soient construites dans un contexte de groupe et que les participants ne soient pas nécessairement formés à la psychologie soulève des préoccupations légitimes. Ces inquiétudes sont d'autant plus fondées que la pratique de la psychogénéalogie, tout comme celle des constellations familiales, n'est pas réglementée. En effet, n'importe qui peut se prétendre psycho-praticien ou praticien dans ces domaines, ce qui constitue un risque considérable pour les patients. Cette absence de contrôle sur la formation et la compétence des intervenants peut mener à des pratiques peu scrupuleuses, exposant les individus à des interprétations erronées et à des expériences potentiellement préjudiciables. Il est donc essentiel que les participants restent vigilants et privilégient des professionnels qualifiés et formés pour garantir un accompagnement approprié et sécurisé. Car une séance peut parfois conduire à des révélations fictives ou erronées, incitant les patients à croire à des traumatismes ou à des enjeux familiaux qui n'existent pas réellement. Ces révélations erronées peuvent conduire à des ruptures avec les proches. Il est donc crucial pour les participants de conserver un regard critique sur ces expériences, afin d'éviter des conclusions hâtives qui pourraient nuire à leur parcours de guérison.
Les constellations énergétiques
Dans leur version énergétique, ces pratiques ajoutent des concepts non prouvés (mémoires cellulaires, champs morphogénétiques), augmentant le risque de manipulation et de croyances infondées. Elles s'inscrivent parfois dans une perspective spirituelle ou ésotérique, intégrant des notions proches du New Age comme la « réparation karmique », l'« âme familiale » ou la « libération des ancêtres ». Cette dimension mystique, loin de toute validation scientifique, favorise une vision idéalisée et non critique de ces pratiques.
Ces pratiques intègrent parfois des concepts issus de la psychanalyse freudienne qui ne sont pas validés scientifiquement, notamment :
- Le concept de mémoire refoulée, qui suppose que des souvenirs traumatiques seraient entièrement oubliés et pourraient être retrouvés par la thérapie. Les recherches scientifiques ne soutiennent pas l'idée que des souvenirs peuvent être complètement effacés et ensuite retrouvés. La mémoire humaine est un processus dynamique et complexe influencé par de nombreux facteurs, y compris l'émotion, le contexte et les biais cognitifs. Plutôt que d'être un enregistrement fidèle d'événements, elle est constamment réévaluée et remodelée, rendant l'idée de souvenirs 'oubliés' puis parfaitement récupérés peu plausible. Les techniques thérapeutiques visant à retrouver des souvenirs refoulés, telles que l'hypnose ou la thérapie par imagerie guidée, peuvent en réalité conduire à la création de faux souvenirs. Des études, comme celles menées par Elizabeth Loftus, démontrent que des suggestions répétées ou des scénarios imaginés peuvent amener des individus à croire qu'ils ont vécu des événements qui ne se sont jamais produits.
- La transmission inconsciente de traumatismes, une idée inspirée de la notion de l'inconscient collectif, mais qui n'a pas été démontrée par la recherche scientifique. cette notion, bien qu'inspirée de l'inconscient collectif de Jung, manque de fondement scientifique solide. Les études sur l'héritage intergénérationnel des traumatismes montrent souvent l'impact de l'environnement et des interactions familiales, mais ne prouvent pas que ces traumatismes soient transmis de manière inconsciente.
- La répétition transgénérationnelle suggère que des événements non résolus dans une génération influencent automatiquement les suivantes. Cependant, cette notion est contestée en raison du manque de preuves solides. Bien que certaines études indiquent des influences intergénérationnelles, elles ne démontrent pas une transmission inévitable d'une génération à l'autre. De plus, bien que l'épigénétique ait exploré les mécanismes potentiels de transmission des expériences, elle n'a pas fourni de preuves concluantes en faveur de cette théorie. Azim Surani, chercheur à l'Université de Cambridge, est réputé pour ses travaux sur la reprogrammation épigénétique. Il a montré que la majorité des marques épigénétiques sont effacées lors de la reproduction, ce qui suggère que la transmission transgénérationnelle est plus complexe qu'on ne le pense. Selon ses recherches, l'épigénétique ne soutient pas l'idée que les traumatismes vécus par une génération soient directement transmis à la suivante par des modifications permanentes de l'ADN. En d'autres termes, même si l'épigénétique influence l'expression des gènes en réponse à certaines expériences, cela ne signifie pas que les traumatismes d'une génération peuvent être transmis de manière fiable à la suivante.
Le rebirth, ou « renaissance », est une technique de développement personnel qui vise à libérer des tensions émotionnelles en revisitant des expériences passées. Toutefois, cette méthode présente des dérives, notamment en ce qui concerne l'induction de faux souvenirs. Comme dans la psychogénéalogie, le participant est encouragé à plonger dans des souvenirs enfouis, souvent sous l'influence d'un état de conscience modifié. Cette exploration peut entraîner la création de souvenirs altérés, voire totalement fabriqués. L'interaction avec le thérapeute joue un rôle clé, car ses suggestions ou interprétations peuvent orienter indûment le participant vers des récits qui ne correspondent pas à la réalité de son vécu. Il est crucial d'aborder cette pratique avec prudence. Cette méthode n'est pas soutenue par des preuves scientifiques robustes et est considéré comme une pratique de développement personnel plutôt que comme une approche thérapeutique validée.
Dangers psychologiques
- Risque de réactivation de traumatismes sans encadrement psychologique adapté.
- Fausse mémoire et influence suggestive, où des souvenirs peuvent être imaginés sous l'effet de la mise en scène.
- Déstabilisation psychique pour les personnes vulnérables, pouvant aggraver des troubles existants.
Dangers éthiques
- Encadrement insuffisant : la formation des praticiens n'est pas réglementée.
- Manipulation et intrusion : certains facilitateurs influencent fortement les participants, pouvant les inciter à couper les liens avec leurs proches.
- Cadre peu protecteur : la dynamique de groupe peut accentuer la pression sociale et favoriser la suggestibilité.
Dangers méthodologiques
- Absence de validation scientifique : aucune étude rigoureuse ne permet de confirmer leur efficacité.
- Confusion entre intuition et réalité : l'interprétation subjective peut mener à des conclusions erronées.
Une absence de validation scientifique
Il est important de souligner que ni la psychogénéalogie ni les constellations familiales ne bénéficient d'une validation scientifique rigoureuse. Aujourd'hui, aucune étude rigoureuse ne permet de confirmer leur efficacité sur des bases sérieuses et reproductibles. Ces pratiques reposent davantage sur des témoignages subjectifs que sur des données expérimentales solides. En conséquence, elles peuvent exposer les patients à des biais cognitifs, à des suggestions involontaires et à des constructions mentales erronées, augmentant ainsi le risque de faux souvenirs.
Des études, notamment celles de Elizabeth Loftus et Julia Shaw, ont mis en évidence la facilité avec laquelle des souvenirs erronés peuvent être implantés. Dans une étude célèbre, Loftus et Pickrell (1995) ont démontré qu'un simple récit d'un événement fictif (comme être perdu dans un centre commercial durant l'enfance) pouvait être intégré comme un souvenir réel par environ 25 % des participants. De plus, des rapports de la MIVILUDES (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) mettent en garde contre les pratiques non validées scientifiquement, susceptibles d'induire de faux souvenirs et de provoquer des ruptures familiales (voir article Abus de faiblesse reconnu dans une pratique de faux souvenirs induits).
Un cadre légal flou et des titres non réglementés
Contrairement à la profession de psychologue, qui nécessite un diplôme universitaire reconnu, la pratique de la psychogénéalogie et des constellations familiales n'est pas encadrée par la loi. Cela signifie que n'importe qui peut s'autoproclamer praticien sans avoir reçu une formation rigoureuse. De plus, le titre de psychopraticien n'est pas réglementé, ce qui permet à des personnes sans formation approfondie en psychologie d'exercer sous cette appellation.
Cette absence de cadre légal expose les patients à des risques accrus de manipulation, de suggestions dangereuses et de dérives sectaires. Il est donc crucial de s'informer sur les qualifications et l'approche du thérapeute avant d'entamer un travail thérapeutique.
Comment éviter les dérives et choisir un bon thérapeute ?
Si vous envisagez une thérapie, voici quelques précautions essentielles :
- Vérifiez la formation du thérapeute : Méfiez-vous des psychopraticiens ou autres titres non réglementés. Un professionnel sérieux doit avoir une formation en psychologie ou en relation d'aide encadrée. Demandez au thérapeute des informations sur ses formations, expériences professionnelles et certifications. Vous pouvez également consulter des sites professionnels ou des annuaires spécialisés pour vérifier ses références.
- Évitez les approches qui insistent sur des souvenirs cachés : Un bon thérapeute ne doit jamais vous forcer à "retrouver" un souvenir refoulé.
- Attention aux discours culpabilisants : Si un praticien insiste sur le fait que votre souffrance vient nécessairement d'un traumatisme oublié, soyez prudent.
- Méfiez-vous des pratiques non scientifiques : L'absence de preuves scientifiques solides pour une méthode doit vous alerter.
- Fuyez les professionnels qui encouragent la rupture avec vos proches : Un thérapeute sérieux ne vous poussera jamais à couper les ponts avec votre famille sur la base de supposés souvenirs retrouvés.
- Méfiez-vous des promesses de guérison rapide ou de solutions miracles : La thérapie est un processus qui demande du temps et de l'engagement. Soyez prudent si un thérapeute vous promet des résultats rapides ou des solutions simplistes à des problèmes complexes.
En somme, les faux souvenirs induits représentent un phénomène préoccupant qui soulève d'importantes questions, notamment dans le cadre de pratiques telles que la psychogénéalogie et les constellations familiales. Les dérives potentielles de ces approches, combinées à une absence de validation scientifique et à un cadre légal flou entourant les professionnels, mettent en lumière la nécessité d'une vigilance accrue. Il est crucial de s'informer et de faire preuve de discernement lorsqu'on choisit un thérapeute, afin d'éviter les pièges de la manipulation, même involontaire. La quête de guérison et de développement personnel doit s'accompagner d'une attention particulière aux qualifications des praticiens et à la rigueur de leurs méthodes. Prendre soin de soi implique de s'entourer de professionnels compétents et éthiques, pour avancer sereinement sur le chemin de la guérison.
Natacha Aubriot, 9 mars 2025
Ressources sur le sujet
- Les illusions de la psychogénéalogie, Nicolas Gaillard, éditions Mardaga
- Le syndrome des faux souvenirs, Elizabeth Loftus et Katherine Ketcham, éditions Exergue
- Des faux souvenirs à la dérive, Guy Vaxelaire, éditions France Libris
- Les faux souvenirs, Yves Corson et Nadège Verrier, éditions de Boeck
- Une kiné jugée pour avoir induit de faux souvenirs, Allo Docteurs info santé
- Un psychothérapeute italien condamné à de la prison pour avoir induit de faux souvenirs, Le Monde, décembre 2022
- Faux souvenirs : ces cas d'inceste inventés sur le divan , FranceInfo
- C'est dans ma tête. Les faux souvenirs induits, Radio France
- La détection de faux souvenirs, Ordre des psychologues du Québec
- Les faux souvenirs induits en procès pour la première fois, MIVILUDES
- La mémoire manipulée - Souvenirs refoulés, faux souvenirs et délai de prescription, AFIS Science
- Petite histoire des recherches sur les « faux souvenirs », AFIS Science
- Sur youtube :
« Les ravages des faux souvenirs et la mémoire manipulée en thérapie », conférence donnée par Brigitte Axelrad, professeur honoraire de Philosophie et de Psychosociologie, auteure de plusieurs ouvrages sur le thème, lors du colloque national du GEMPPI, octobre 2015 et
« Faux souvenirs induits (FMS) : Témoignage de Guy Vaxelaire»,
ainsi que « Mémoire retrouvée ou faux-souvenirs : La controverse • Conférence de Brigitte Axelrad » sur la chaine AFIS Grenoble-Alpes Vidéos. - Psychogénéalogie et constellations familiales 2/5 , série de Vidéo de la chaîne Méta de Choc
- La Mission interministérielle sur les dérives sectaires pointe les nouvelles techniques de manipulations des sectes, Le Monde, 3 avril 2028